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Pourquoi photographier à l’heure de l’intelligence artificielle ?

Dans un monde où l’intelligence artificielle occupe de plus en plus de place, on peut se demander s’il est encore utile de photographier. Aujourd’hui, l’IA est capable de générer des images d’un réalisme époustouflant en créant des paysages ou des portraits de lieux et de personnes qui n’existent même pas. Cette réalité technologique pose une question déroutante et paradoxale : quel est le rôle de la photographie à l’ère de l’IA ?

Les controverses de la photographie 

La naissance de la photographie au milieu du 19e siècle a suscité une véritable révolution technologique. La possibilité de capturer et de conserver des images du monde réel est devenue une réalité accessible à un nombre croissant de personnes. Cependant, l’acceptation de la photographie en tant qu’art n’a pas été immédiate. À l’époque, beaucoup remettaient en question l’idée que la photographie qui reposait sur une machine puisse être considérée comme une forme d’art. Pour ces critiques, l’art nécessitait l’imagination, la créativité et le talent de l’artiste, des qualités qui, selon eux, manquaient dans le processus photographique mécanique. De plus, la photographie a suscité des craintes parmi les artistes traditionnels, en particulier les peintres et les dessinateurs. Avec sa capacité à reproduire le monde avec une précision et une fidélité sans précédent, la photographie semblait menacer de rendre ces compétences obsolètes.

La photographie a mis longtemps avant d’être reconnue comme une forme d’art à part entière. Cette première photo réalisée par Louis Daguerre à Paris en 1838 est aujourd’hui un témoin de l’histoire. 

Malgré ces critiques initiales, la photographie a lentement gagné en reconnaissance et en respect. Des photographes comme Julia Margaret Cameron et Henri Cartier-Bresson ont démontré que la photographie pouvait être une forme d’expression artistique, capable de capturer non seulement le monde extérieur, mais aussi la vision de l’artiste. Au lieu de remplacer les peintres et les dessinateurs, la photographie a ouvert de nouvelles voies pour l’expression artistique. Elle a permis d’explorer de nouvelles formes et techniques, d’expérimenter avec la lumière et l’ombre, le temps et le mouvement. 

La photographie a ainsi fini par être pleinement acceptée comme forme d’art, bien qu’elle soit en grande partie réalisée mécaniquement. Ainsi, l’histoire de la photographie offre une perspective précieuse sur les débats actuels autour de l’IA et de la photographie. Tout comme la photo à ses débuts, l’IA suscite des questions et des controverses. Et tout comme la photographie, elle a le potentiel d’ouvrir de nouvelles voies pour l’expression artistique et créative, même si elle remet en question nos idées préconçues sur l’art et la réalité. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? 

Cette photo d’un lac de montagne au coucher du soleil est entièrement générée par intelligence artificielle. N’en est-elle pas moins attrayante ? 

Photographie : entre art et authenticité

La photographie est désormais pleinement acceptée comme un moyen puissant de documenter la réalité et de garder une trace tangible du passé. Elle emprisonne le temps, figeant les gens, les paysages et les objets dans un instant précis et unique. Elle nous donne la possibilité de revenir en arrière, de revivre ces moments et de les partager avec d’autres. Une authenticité avec laquelle l’intelligence artificielle peut difficilement rivaliser. 

La photographie permet de figer le temps, de capturer des émotions et de créer des souvenirs. 

Cependant, la photographie ne se limite pas à reproduire la réalité. Elle la façonne également, en fonction de la perspective du photographe, des choix techniques et artistiques, ainsi que du contexte culturel et historique. Chaque photographie est une interprétation de la réalité, colorée par la subjectivité de celui qui la capture et du spectateur. C’est cette dualité – la photographie comme reflet de la réalité et comme interprétation subjective – qui donne à ce médium sa profondeur et sa richesse. Elle est un moyen de communication, un instrument d’expression et un outil d’exploration. C’est sous cette forme artistique que la photographie est confrontée à une révolution numérique qui pourrait, à première vue, la rendre obsolète. 

La photographie est également une forme d’art en faisant passer une histoire et des émotions. Cette image suscite incontestablement l’appétit. Elle est pourtant entièrement générée par IA. 

La génération d’images par intelligence artificielle 

La génération d’images est l’un des aspects les plus impressionnants et les plus inquiétants de l’intelligence artificielle. Cette technologie qui était autrefois du domaine de la science-fiction est maintenant une réalité palpable aux avancées exponentielles. Ces intelligences artificielles se basent sur des algorithmes d’apprentissage en profondeur nourris avec des millions d’images et de données. Au fur et à mesure de leur évolution, les programmes acquièrent et retiennent toutes les informations présentées pour créer une image théoriquement parfaite. Les modèles les plus perfectionnés comme ceux de Midjourney ou de DALL-E 2 peuvent créer des images en se basant sur les descriptions textuelles fournies par l’utilisateur. À l’aide de quelques mots clés, il est désormais possible de créer des images d’un réalisme souvent indiscernable de la réalité. Il est même possible de demander de copier le style d’un photographe existant. Voici l’exemple obtenu avec pour seule commande “portrait de mode dans le style de Peter Lindbergh” : 

Cette photo reprenant le style de Peter Lindbergh est réalisée à l’aide d’une simple commande sur Midjourney. 

Pour aller encore plus loin, on peut compléter la requête en ajoutant l’appareil photo utilisé, ainsi que l’objectif associé, et même l’ouverture du diaphragme. L’algorithme est alors capable de générer des résultats très convaincants. Ils sont souvent très précis par rapport à ce que l’appareil pourrait produire dans la vraie vie. Enfin, vous pouvez décrire le lieu, les habits, les accessoires, etc. Voici un exemple avec la requête “portrait de femme avec chapeau de paille allongée dans du blé, robe orange, yeux bleus, Leica M11, objectif 50 mm f/1,4” : 

Avec une description précise et très détaillée, il est possible d’obtenir presque à l’identique l’image que vous avez en tête. 

Photo par intelligence artificielle : quels droits d’auteur ? 

La génération de photos par intelligence artificielle a ouvert de nouvelles frontières de possibilités créatives, mais elle a aussi soulevé des questions importantes. Un des premiers problèmes à surgir concerne la question des droits d’auteur. Historiquement, celui-ci permet de protéger les œuvres créées par des êtres humains. Mais que se passe-t-il lorsque la « créativité » est le produit d’un algorithme ? Qui détient les droits sur une image générée par une IA ? Est-ce l’IA elle-même, le programmeur qui a créé l’IA, ou l’utilisateur qui a donné les instructions à l’IA pour générer l’image ?

Tout comme l’océan, le paysage juridique des images générées par IA dispose de zones inexplorées et mal comprises qui attendent d’être découvertes et déchiffrées. Photo générée par intelligence artificielle. 

La question des droits d’auteur sur les images générées par IA est complexe et largement inexplorée dans le monde juridique. Les lois actuelles à ce sujet ne sont pas claires et diffèrent grandement d’un pays à l’autre. Début 2023 aux Etats-Unis, l’Office du Copyright a décidé que les illustrations d’une bande dessinée créée par l’IA Midjourney n’étaient pas éligibles à la protection par le droit d’auteur. Cela a créé un précédent intéressant, mais aussi un défi. Si une IA ne peut détenir de droits d’auteur, qu’en est-il du développeur de l’IA ? Ou de l’utilisateur qui a entré les instructions pour générer l’image ? La question reste ouverte.

Une autre problématique est que pour être formées, ces intelligences artificielles ont dû analyser des milliards d’images et d’illustrations créées par de véritables artistes. Bien que les IA n’incorporent pas directement ces œuvres d’art dans leurs productions, elles extraient et interprètent des représentations mathématiques de ces images. Ces informations acquises servent par la suite à générer des illustrations « originales » en fonction de demandes spécifiques. Toutefois, la frontière entre inspiration et création reste floue. De plus, la capacité de ces IA à reproduire le style d’artistes renommés soulève des questions éthiques et juridiques liées à la propriété intellectuelle et au droit d’auteur.

Cette photo générée par intelligence artificielle est directement inspirée du style de Steve McCurry. À qui sont donc réellement les droits de cette image ? Est-ce légal ou éthique de l’utiliser ? 

Les dérives de l’IA en photographie 

L’autre défi soulevé par l’intelligence artificielle est celui de la crédibilité des images. Si les IA peuvent générer une photo réaliste à partir d’une description textuelle, comment distinguer une image réelle d’une image créée par IA ? Cette question est particulièrement pertinente dans le domaine du journalisme et du reportage où l’authenticité de l’image est cruciale. Il pourrait devenir de plus en plus difficile de faire confiance aux images sans une sorte de système de vérification ou de certification. Sans cela, les deepfakes risquent de se multiplier, comme cela a récemment été le cas avec des photos du Pape François en doudoune Balenciaga ou d’images de l’ex-président Donald Trump poursuivi par des policiers. 

La puissance de l’intelligence artificielle peut entraîner de nombreuses dérives et deepfakes comme cette image du Pape François en doudoune Balenciaga qui a fait le tour du monde. 

Intelligence artificielle et photo : symbiose ou substitution ? 

Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, la photographie se retrouve à la croisée des chemins. L’IA a démontré sa capacité à créer des images d’un réalisme époustouflant, à manipuler les photos de manière crédible et à générer des scènes entièrement nouvelles. Pour ces raisons, l’IA peut aider à transcender les limites de l’appareil photo, permettant aux photographes de réaliser des images qui étaient auparavant impossibles. Si l’IA semble pour certains mettre fin à la créativité humaine, elle peut au contraire l’encourager. Ces outils peuvent servir de sources d’inspiration ou d’aides à la création, permettant de générer rapidement des concepts ou de visualiser des idées abstraites avant de capturer réellement l’image sur le terrain. 

Les photographes peuvent s’aider de l’IA pour imager les scènes afin de gagner en réactivité une fois sur le terrain. 

L’IA peut aussi décharger le photographe de certaines tâches, notamment pour éditer les images. Les algorithmes de machine learning sont capables d’améliorer la qualité d’une photo, de supprimer les éléments indésirables ou d’ajuster automatiquement l’exposition et le contraste. Elle peut aussi aider à trier et à organiser les photos, en reconnaissant les visages, les objets et les scènes. Ces outils peuvent être d’une grande aide pour les photographes, leur permettant de se concentrer sur les aspects créatifs et artistiques de leur travail.

La photographie à l’ère de l’IA

En fin de compte, l’IA ne remplace pas la photographie, mais la transforme. Elle nous pousse à réfléchir à ce qui fait la valeur d’une photo, à ce qui la rend unique et irremplaçable. Elle nous rappelle que la photographie est plus qu’une technologie, plus qu’une image : c’est une expérience humaine, une expression de notre vision du monde, une façon de partager et de communiquer. Et c’est peut-être pour cela que même à l’ère de l’IA, nous continuons à photographier. Ainsi, malgré toutes les incertitudes, une chose reste certaine : la photographie est loin d’être morte, elle continue simplement à se transformer.

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